Fuera de lugar-Déplacé naît du besoin de recomposer une mémoire brisée, de rassembler les fragments dispersés d’une histoire familiale. L’œuvre trace un parcours qui part de la racine intime du souvenir et se déploie vers les formes que la mémoire prend lorsqu’elle est traversée par le récit collectif. Lors de ce parcours, le personnel se transforme en miroir du partagé, et le quotidien, comme l’album familial, le registre verbal ou les affections minimales, s’ouvre à une constellation de liens déplacés, encapsulés dans une image suspendue, dans un geste capturé, dans la fragilité d’un document d’archive.
L’œuvre habite les marges et les pages non écrites du récit officiel. Les feuilles jaunes et oubliées de vieux livres, usées par le temps, se transforment en surface pour recomposer des fragments de mémoires suspendues. Des espaces oniriques, dans un horizon partagé, un vent de sable -fait d’exils et de pertes- les entraîne, laissant en arrière une trace terreuse, d’ombres, de figures qui ont existé. Les visages qui autrefois ont été appelés maison : grand-mères, oncles, voisins ou même enfant sont dilués dans une esthétique de la perte et avec leurs figures aussi leurs visages se dissolvent. Dans un cheminement vers une mémoire visuelle partagée, cette œuvre naît dans l’individuel et se projette vers le collectif.
Fuera de lugar-Déplacé est, dans sa forme et dans son fond, un geste de résistance face à l’oubli. Une tentative de donner forme visuelle à l’affection, à ce piège doux et piquant que laisse le déracinement. Dans le même temps, c’est une critique subtile de la construction médiatique de l’immigration : sa réduction à des chiffres, des titres et du spectacle. Face à ce regard simpliste, cette œuvre restitue l’humanité de la délicatesse du fragment, de la tendresse du détail, du langage flou du papier et de l’image. Fuera de lugar-Déplacé invite à s’arrêter sur ce qui est perdu au départ, dans la transformation du regard depuis la distance territoriale. C’est là, sur ce seuil, dans cette place intermédiaire -dans cet être dedans et dehors- où l’œuvre trouve sa force poétique.
Oeuvres de Youssef Taki Miloudi.